Saturday, December 7, 2019

LE PEUPLE*

Jorge Etcheverry

Étudiants sans école et sans livres
Escargot sans coquille, mer sans vagues
Travailleurs sans mains, visionnaires sans paupiéres
Soldats sans uniforme, ni galons ni artillerie
Appuyés sur la colonne vertébrale de la terre, ils livrent bataille
Sans escadrons et sans cris
Pour arme lourde, la faim
Pour drapeau, le sang
Pour benzéne et pour courant électrique, les nerfs
Du cote de lá-bas les machines
Les automobiles et les chars blindés
Les livres de bon papier, les règles á calcul
La viande, le pain, les tapis, les colliers
Les avions, les communications
Le centre de la ville avec ses hauts édifices solides
De ce cóté-ci des tranchées d'adobe
de chaudrons défoncés, d'oignons
de chemises sans boutons, de roses séchées
Sans caries sur lesquelles planifier les démarches tactiques et stratégiques
Avec, comme bélier et défense,l'immensité húmame somno¬lente et faible
Dispersés dans les déserts, couronnant les cordillères, engorgeant les vallées
Se reproduisant et mourant
Sans papillons, soleils ni tambours
Sans héros portant le heaume, chevalier à monture royale
Sans épée qui ne chante, sans Graal
Sans étendards ni étoiles brillant aux ailes des aéroplanes
Assemblés en unepoitrine sans dos visible, une vaste envergure
de la couleur des plumes de la grive, un semis de front et d'yeux
Dirigeant non pas des compagnies mais bien des générations
Opposant à la détérioration des cartouches brúlées la dissolu-
tion de la chair
aux chenilles des véhícules, les charrues brisées
Engrenant 1'engrenage des articulations engourdies
Dotés de la sagesse de la machine húmame face à 1'astuce des États-majors
Opposant la distribution de l'homme sur le sol aux traitements de "choc"
Faisant appel à l'épuisement des bras, planifiant la suspensión de l'énergie qui sustente les usines
Face au pouvoir armé de mitraillettes et de calculatríces
Qui peut contrôler les marees, non le grossissement des mers
Quipeut récolter les épis et ne sait éliminer la nécessité du blé
Qui se couvre la tête sous le soleil et ne sait éliminer la source des rayons
Qui peut brûler des livres déjà écrits mais ne peut en écrire d'autres
Entoncés jusqu'à la taille dans la boue de l'histoire
Faisant étalage de la possession du temps dans les génitaux
Arborant la source de toute force dans les bras
Gardant la reine des abeilles dans l'écrín du coeur
L 'incendie vorace dans l'obscurité des pupilles
La voix des multitudes derrière les lèvres closes
*Traduit de 1'espagnol par Geneviéve-Ann Rogers.

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